La grande étude ONTARGET, parue plus tôt cette année (voir notre résumé d’avril 2008), a permis de mener quelques sous-analyses sur des questions bien précises. Dans le Lancet de ce mois-ci, Mann et ses collaborateurs (1) se sont intéressés à comparer la protection rénale conférée par l’administration de telmisartan, un antagoniste des récepteurs à l’angiotensine II (ARA), à celle du ramipril, un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine I (IECA), et à celle des 2 agents administrés en association.
Les 25 620 patients de l’étude ONTARGET, rappelons-le, présentaient un risque cardio-vasculaire élevé (âge > 55 ans avec maladie vasculaire athérosclérotique établie ou souffrant de diabète mellitus et d’une atteinte à un organe-cible) mais un risque rénal plutôt faible, puisque 19 394 d’entre eux avaient un taux de filtration glomérulaire estimé (TFGe) égal ou supérieur à 60 ml/min/1,73 m2 en début d’étude. Les traitements de l’étude ont été administrés une fois par jour en double-aveugle; ils ont été répartis de façon aléatoire selon 3 groupes : ramipril 10 mg (n=8576), telmisartan 80 mg (n=8542) et ramipril 10 mg + telmisartan 80 mg (n=8502). La durée médiane du suivi des patients a été de 56 mois. La fonction rénale et l’excrétion urinaire d’albumine ont été mesurées. L’aboutissement primaire de l’étude était un collectif d’indicateurs cliniques : dialyse rénale, doublement de la créatinine sérique et décès.
En rapport avec l’aboutissement primaire de l’étude, les résultats ont montré un nombre équivalent d’événements entre telmisartan (n=1147 [13,4%]) et ramipril (1150 [13,5%]; rapport de cote [RC] 1,00; 95% CI 0,92–1,09), mais une augmentation en ce qui a trait à la thérapie d’association (n=1233 [14,5%]; RC 1,09, 1,01–1,18, p=0,037). Quant aux aboutissements secondaires de l’étude, à savoir le nombre de patients requérant une dialyse rénale ou présentant une valeur de créatinine sérique doublée, les groupes telmisartan (n=189 [2,21%]) et ramipril (n=174 [2,03%]) étaient similaires entre eux (RC 1,09; 95% CI 0,89–1,34). Par contre, ces derniers événements ont été augmentés dans le groupe recevant la thérapie combinée (n=212 [2,49%]: RC 1,24; 95% CI 1,01–1,51, p=0,038). Le TFGe s’est moins détérioré sous ramipril que telmisartan (−2,82 + 17,2 mL/min/1,73 m2 vs −4,12 + 17,4, p<0,0001) ou que la thérapie combinée (−6,11 + 17,9, p<0,0001). L’excrétion urinaire d’albumine a moins augmentée durant le traitement par telmisartan (p=0,004) ou le traitement combiné (p=0,001) que le ramipril seul. Les symptômes liés à l’hypotension ont causé l’arrêt permanent de la médication d’étude chez 149 patients du groupe ramipril, 229 du groupe telmisartan et 406 du groupe de la thérapie combinée. L’essai ONTARGET comporte de nombreux points forts liés au fait qu’il s’agisse d’une étude multicentrique, d’envergure internationale, randomisée et menée en double insu sur un grand nombre de patients dont la comparabilité des caractéristiques cliniques a su se maintenir du début à la fin. L’analyse des données recueillies sur la fonction rénale avait été prévue au début même de l’étude et un plan statistique spécifique avait été élaboré. Par contre, la comparaison des données a été limitée par une faible incidence des cas de dialyse et de doublement de la créatinine sérique dans chacun des groupes à l’étude, se traduisant par des intervalles de confiance assez larges. De plus, la mesure de la créatinine sérique a été confiée à chacun des centres participant à l’étude plutôt qu’à un laboratoire central recourant à une méthode standardisée et calibrée. Enfin, la population à l’étude recevait une thérapie cardiovasculaire optimalisée, ce qui a pu réduire la capacité à faire ressortir les bénéfices individuels sur la fonction rénale associés aux traitements de l’étude. Par ailleurs, ONTARGET peut difficilement être généralisée aux patients ayant un TFGe < 60 ml/min/1,73 m2 ou présentant de la protéinurie; ces patients étaient peu représentés dans l’étude. Mentionnons que des données antérieures indiquent que le double blocage du système rénine-angiotensine-aldostérone par un IECA et un ARA s’est avéré efficace à réduire la protéinurie, notamment chez les patients présentant des valeurs élevées de ce paramètre. Les auteurs de l’étude ONTARGET concluent que les effets du telmisartan sont similaires à ceux du ramipril dans la préservation de la fonction rénale des patients à haut risque cardiovasculaire. Même si l’excrétion urinaire d’albumine s’améliore en combinant ces 2 types de médicament agissant dans le système rénine-angiotensine-aldostérone, l’effet global de cette stratégie thérapeutique est plutôt défavorable sur la fonction rénale. D’autres études devront cependant être menées pour savoir si ce traitement d'association pourrait être favorable pour une population ayant un risque rénal plus grand, tels les patients diabétiques au stade de protéinurie ou ceux ayant d’autres néphropathies actives. Jean Lefebvre, BPharm, MSc (hosp), PhD Unité de recherche sur l’hypertension artérielle, CHUQ Professeur adjoint, Faculté de pharmacie Université Laval Référence :
(1) Mann JF, Schmieder RE, McQueen M, et al. for the ONTARGET investigators. Renal outcomes with telmisartan, ramipril, or both, in people at high vascular risk (the ONTARGET study): a multicentre, randomised, double-blind, controlled trial. Lancet. 2008 Aug 16;372(9638):547-53.