L’effet de protection rénale des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IECA) semble plus grand que les autres agents anti-hypertenseurs, soulevant la possibilité que des effets au-delà de la tension artérielle (TA) expliquent cette différence. Notamment, les IECA semblent diminuer plus la protéinurie que les autres agents antihypertenseurs. Par contre, il subsiste toujours un doute sur l’existence de ces effets potentiels au-delà de la TA des IECA. L’étude AVER1 a été planifiée afin de vérifier l’hypothèse qu’un IECA (l’énalapril) est plus réno-protecteur qu’un bloqueur des canaux calciques (BCC) (l’amlodipine) dans une population non diabétique et non néphrotique mais porteur d’une insuffisance rénale chronique modérée (TFG : 20-60 cc/min.) et hypertendu.
C’est l’issue primaire qui rend cette étude particulièrement intéressante. En effet, l’issue primaire est le changement du TFG mesuré (et non estimé ou calculé) par médecine nucléaire en utilisant une méthode validée et reconnue. Comme issue secondaire, il y avait diverses issues rénales, dont la protéinurie, et la tension artérielle.
C’est une petite étude de courte durée. En effet, dans cette étude les investigateurs ont randomisé 263 patients (132 dans le groupe amlodipine et 131 dans le groupe énalapril) et la médiane du suivi est de 2.9 années. Malgré ce petit nombre de patients, la randomisation a bien fonctionné et il n’y a pas de différence cliniquement significative entre les 2 groupes, sauf quelques différences dans les causes d’IRC. Ces patients avaient en moyenne 1.2 g/jours de protéinurie. Il n’y avait pas de différence significative dans la TA durant l’étude, passant de 165/101 environ au début de l’étude à 140/86 environ à la fin de l’étude dans les deux groupes. Par contre, dans une sous étude de TA ambulatoire de 24h faite sur 102 patients, il y avait une baisse significativement plus élevée de la TA diastolique dans le groupe énalapril (-14 vs -10 mm Hg, P = 0.037).
Le TFG mesuré n’était pas différent entre les groupes au début de l’étude (47 et 43 cc/min dans le groupe amlodipine et énalapril respectivement). Par contre, le TFG diminuait moins dans le groupe énalapril à la fin de l’étude (-4.92 comparé à -3.98 cc/min dans le groupe amlodipine et énalapril respectivement), mais cette différence n’était pas statistiquement significative. De plus, le taux de protéinurie diminuait plus dans le groupe énalapril (-142 comparé à -356 g/j dans le groupe amlodipine et énalapril respectivement à la fin de l’étude). En fait, le taux de protéinurie diminuait de façon statistiquement significative seulement dans le groupe énalapril. Une analyse post hoc d’un sous-groupe de 70 patients ayant une protéinurie > 1g/j démontre curieusement que le TFG diminue moins dans le groupe amlodipine même si la protéinurie diminue plus dans le groupe énalapril.
Cette étude est limitée par sa faible puissance, qui est même plus basse que prévue étant donné le plus faible taux d’événements que prévu et une baisse du TFG plus faible que prévu. Étant donné les très faibles différences entre les deux groupes, cette étude démontre la sécurité d’utilisation de BCC dans cette population. Par contre, il est permis de croire que la plus grande diminution de protéinurie et la tendance à une plus faible diminution du TFG auraient probablement avantagé le groupe IECA si l’étude avait duré plus longtemps et avec plus de patients enrôlés. Cette étude ne règle donc pas le débat sur la supériorité des IECA sur les BCC ou sur l’hypothèse des effets au-delà de la TA des IECA, mais sa faible puissance ne fait qu’amplifier les questions entourant ce débat. Par contre, cette étude prouve encore que le plus important est de diminuer le TA vers les cibles, peu importe le médicament utilisé.
En conclusion, cette étude démontre une très faible différence non significative favorisant l’énalapril par rapport à l’amlodipine pour la réno-protection, renforçant l’importance du blocage du système rénine angiotensine chez les IRC hypertendus avec protéinurie. Par contre, elle démontre aussi l’innocuité et l’efficacité d’un traitement à base de BCC. Finalement le plus important demeure de diminuer la tension artérielle.
Dr Michel Vallée MD PhD FRCP(C)
Néphrologue
Hôpital Maisonneuve-Rosemont
Professeur adjoint, faculté de Médecine
Université de Montréal
Référence:
1) Esnault VL, Brown EA, Apetrei E, Bagon J, Calvo C, DeChatel R, Holdaas H, Krcmery S, Kobalava Z; Amlodipine Versus Enalapril in Renal failure (AVER) Study Group. The effects of amlodipine and enalapril on renal function in adults with hypertension and nondiabetic nephropathies: a 3-year, randomized, multicenter, double-blind, placebo-controlled study. Clin Ther. 2008 Mar;30(3):482-98.