L’étude originale AASK (African American Study of Kidney Disease and Hypertension), parue en 2002, avait pour but de déterminer si un traitement intensif (PA atteinte 128/78 mm Hg) de la pression artérielle (PA) offrait une protection rénale supplémentaire par rapport au traitement standard (PA atteinte 141/85 mm Hg), en plus de vérifier si un traitement basé sur un IECA, un bêtabloqueur ou un BCC offrait une quelconque protection supplémentaire. Le suivi variait de 3 à 6.4 années. Les résultats en 2002 ont démontré que le traitement intensif ne donnait pas de protection rénale supplémentaire, mais qu’un inhibiteur de l’enzyme de conversion semblait offrir une protection rénale supérieure à un bêtabloqueur ou un bloqueur des canaux calciques(2).
Depuis, les cibles de PA chez les patients IRC ont été définies à 130/80 mm Hg malgré qu’aucune étude randomisée ne supporte cette recommandation.
L’étude AASK s’est prolongée; après la fin de l’étude on a offert aux patients de poursuivre le suivi en visant une PA < 130/80 mm Hg pour tout le monde, dans une étude de cohorte prospective. L’issue primaire était l’évolution de la fonction rénale et la mortalité de toute cause. Le suivi variait de 8.8 à 12.2 années. Durant l’étude de cohorte, la PA moyenne était de 130/78 mm Hg dans le groupe intensif et 134/78 mm Hg dans le groupe standard. Même dans cette étude prolongée, il n’y avait pas de différence entre les 2 groupes. Par contre, une analyse de sous- groupe suggère un bénéfice du traitement intensif dans le sous-groupe de patients ayant une protéinurie (Risque relatif 0.73, P = 0,01). Les auteurs concluent donc qu’il n’y a pas de bénéfice au traitement intensif de la PA pour la protection rénale dans la néphropathie hypertensive, mais qu’une analyse de sous-groupe suggère qu’il pourrait y avoir un bénéfice au traitement intensif dans le sous-groupe de patients franchement protéinuriques au départ(1). Cette étude comporte plusieurs limitations : premièrement, elle n’inclut que des patients d’origine afro-américaine, qui sont considérés comme ayant une néphropathie hypertensive plus grave que les autres ethnies. Deuxièmement, la plupart du suivi survient dans une phase observationnelle non randomisée de l’étude. Par contre, elle possède aussi plusieurs forces, comme la longueur du suivi, la très grande différence de PA entre les 2 groupes durant la phase de randomisation et l’absence de différence dans l’utilisation d’agents réno-protecteurs entre les 2 groupes(1). Les études observationnels suggèrent systématiquement que plus on baisse la PA, plus on offre une bonne protection rénale et cardiovasculaire. Les études randomisées étant la bonne façon de vérifier quelle cible de PA est la meilleure, et étant donné qu’aucune étude randomisée ne démontre qu’il est bénéfique de viser une cible de PA plus basse que 140/90 mm Hg, on doit donc conclure que les études non-randomisées ont surestimé l’effet du traitement intensif de la PA, un peu comme dans le cas de l’hormonothérapie de remplacement post-ménopause (HTR). En effet, dans ce dernier cas les études observationnelles avaient systématiquement démontré que l’HTR protégeait le système cardiovasculaire, mais les études randomisées sur le sujet sont venues contredire ces résultats biaisés. D’autres nombreux exemples de ce phénomène peuvent être retrouvés en médecine. Ainsi, la recommandation de viser < 130/80 mm Hg de PA pour les patients atteint d’insuffisance rénale chronique (IRC) n’est supportée par aucune étude randomisée, incluant l’étude du MDRD(3) qui curieusement est celle qui est considérée comme ayant établi la recommandation, même si c’est une étude négative. La découverte dans l’étude AASK (ainsi que dans MDRD) qu’il pourrait y avoir un bénéfice à utiliser cette cible chez les patients protéinuriques seulement est intéressante, mais ne doit être utilisée que pour générer l’hypothèse que cela soit possible, et que ceci doit faire l’objet d’une étude randomisée afin de confirmer cette analyse de sous-groupes. L’étude ACCORD-BP parue plus tôt cette année n’a pas réussi à démontrer un bénéfice entre viser <140 mm Hg vs <120 mm Hg de PA chez les diabétiques(4). Il semble donc que le dernier sous-groupe de patients pouvant potentiellement bénéficier d’un traitement plus intensif que <140/90 mm Hg ne soit que les patients IRC protéinuriques, ce qui quand même demeure à être démontré dans une étude randomisée. La question des cibles de PA demeure donc controversée, autant pour les diabétiques que pour les patients IRC. L’étude SPRINT (qui compare la cible de <140 mm Hg vs <120 mm Hg), qui inclura un nombre substantiel de patients IRC, tentera de résoudre en partie ce problème(5). En attendant, les résultats s’accumulent en défaveur du traitement intensif, ce qui devrait à terme faire hausser les cibles de PA chez les diabétiques et les IRC dans les recommandations. Dr Michel Vallée MD MSc (épi.) PhD FRCP(C) Néphrologue Hôpital Maisonneuve-Rosemont Membre du CHEP Références
1) Appel L, AASK Chair Committee, Analysis Group Investigators. The long-term effects of a lower blood pressure goal on progression of hypertensive chronic kidney disease in African-Americans. N Engl J Med 2010;363:918-29.
2) Effect of blood pressure lowering and antihypertensive drug class on progression of hypertensive kidney disease: results from the AASK trial. Wright JT Jr, Bakris G, et al for The African American Study of Kidney Disease and Hypertension Study Group. JAMA. 2002 Nov 20;288(19):2421-31.
3) Klahr S, Levey AS, Beck GJ, Caggiula AW,Hunsicker L, Kusek JW, Striker G: The effects of dietary protein restriction and blood-pressure control on the progression of chronic renal disease. N Engl J Med 330: 877–884, 1994
4) ACCORD Study Group, Cushman WC, Evans GW, Byington RP, Goff DC Jr, Grimm RH Jr, Cutler JA, Simons-Morton DG, Basile JN, Corson MA, Probstfield JL, Katz L, Peterson KA, Friedewald WT, Buse JB, Bigger JT, Gerstein HC, Ismail-Beigi F: Effects of intensive blood-pressure control in type 2 diabetes mellitus. N Engl J Med 362: 1575–1585, 2010.
5) Julia B. Lewis, Blood Pressure Control in Chronic Kidney Disease: Is Less Really More? J Am Soc Nephrol 21: 1086–1092, 2010.