L’utilisation d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine 2 (IECA) pour la protection cardiovasculaire ne fait plus de doute depuis quelques années. En effet, on a montré que ces médicaments sont efficaces chez les patients en insuffisance cardiaque, avec antécédents de maladie cardiovasculaire ou chez des diabétiques à haut risque de maladie cardiovasculaire. Par contre, la place des bloqueurs du récepteur 1 de l’angiotensine (BRA) dans ces populations demeurait ambiguë, mis à part dans le traitement de l’insuffisance cardiaque et de l’hypertension. Le rôle du traitement combiné (IECA plus BRA) est encore plus ambigu dans ces populations. L’étude ONTARGET1, une étude internationale d’origine canadienne, a été réalisée afin de répondre à ces questions.
L’étude ONTARGET est une très grande étude ‘randomisée’, contrôlée et à double insu, comparant le telmisartan 80 mg par jour au ramipril 10 mg par jour ainsi qu’à la combinaison des deux aux mêmes doses. L’issu principal était un cumul de la mortalité de cause cardiovasculaire, l’infarctus du myocarde, un accident vasculaire cérébral ou une hospitalisation pour insuffisance cardiaque. Le déroulement de l’étude en soit est un exploit: il y avait plus de 8500 patients dans chacun des trois groupes (25620 patients au total) qui ont été suivis pendant une période médiane de 56 mois! L’analyse statistique de cette étude est particulière en ce sens qu’elle est présentée comme une étude de non-infériorité pour l’analyse des résultats du telmisartan versus ramipril. À part cette analyse, l’étude d’un groupe traitement combiné et l’absence d’un groupe placebo, cette étude ressemble beaucoup à l’étude HOPE2. Les caractéristiques de base des patients étaient identiques dans les 3 groupes. Notamment, l’âge moyen était de 66.5 ans, il y avait 27% de femmes, 85% de sujets souffraient de maladie cardio-vasculaire, 69% étaient hypertendus et 38% étaient diabétiques.
Le résultat principal de l’étude est qu’il n’y a pas de différence entre le telmisartan, le ramipril ou le traitement combiné pour l’issu primaire (survenant dans 16.7%, 16.5% et 16.3% des patients respectivement). Par contre, le telmisartan a été un peu mieux toléré que le ramipril, et le ramipril a été mieux toléré que le traitement combiné. Il est à noter que dans le groupe combiné il y a eu surtout plus d’épisodes d’hypotension (4.8% versus 1.7%), de syncopes (0.3% versus 0.2%) et de dysfonction rénale (13.5% versus 10.2%). Par contre, il se peut que dans les nombreuses études de sous-groupes qui seront publiées dans les prochains mois, nous trouverons un avantage au traitement combiné, comme chez les patients présentant une protéinurie.
La baisse de tension artérielle n’a pas été égale dans les 3 groupes. La réduction moyenne de tension artérielle tout au long de l’étude a été de 0.9/6 mmHg de plus dans le groupe telmisartan et de 2.4/1.4 de plus dans le groupe combiné par rapport au ramipril. Les résultats égaux pour l’issu primaire sont donc survenus même si la baisse de tension artérielle n’a pas été la même. Ceci est difficile à expliquer mais il se peut que la tension artérielle de départ n’était pas assez haute (141.8/82.1 mmHg), qu’il n’y ait pas assez de patients hypertendus dans l’étude (et surtout pas assez d’hypertendus mal contrôlés), et que certains effets secondaires aient diminué la portée de la baisse supplémentaire de tension artérielle sur les résultats de l’issu primaire. L’hypertension n’était pas un critère d’inclusion dans cette étude.
D’autre part, cette étude aurait dû être analysée au complet par une analyse de supériorité au lieu d’utiliser une analyse de non-infériorité. Ceci n’aurait rien changé au ‘design’ ou au déroulement de l’étude. Par contre, ceci aurait probablement nécessité plus de patients. Mais étant donné l’effet hypotenseur plus grand et la demi-vie plus grande du telmisartan, une seule analyse de supériorité aurait dû être faite. Le principal désavantage de l’analyse de non-infériorité est qu’elle n’offre que peu d’avantage aux patients enrôlés dans l’étude en plus d’en rendre l’analyse ambiguë3. Ainsi, l’étude ONTARGET peut être considérée comme ‘positive’ du point de vue de l’analyse de non-infériorité mais neutre ou même ‘négative du point de vue de l’analyse de supériorité. Ainsi au bout du compte, qui bénéficie principalement d’une analyse de non-infériorité en général: les compagnies pharmaceutiques ou les patients??3 Ceci étant dit, l’étude ONTARGET n’est pas une étude de non-infériorité au complet grâce à l’analyse du traitement combiné.
Cette étude démontre que le telmisartan peut être considéré comme un traitement de première intention au même titre que le ramipril dans cette population. Par contre, le traitement combiné était plus mal toléré sans offrir de bénéfices supplémentaires.
Dr Michel Vallée MD PhD FRCP(C)
Néphrologue
Hôpital Maisonneuve-Rosemont
Professeur adjoint, faculté de Médecine
Université de Montréal
Références:
(1) The ONTARGET Investigators: Telmisartan, Ramipril or Both in Patients at High Risk for Vascular Events. N Engl J Med 2008;358:1547-59.
(2) The HOPE investigators: Effects of an Angiotensin-Converting-Enzyme Inhibitor Ramipril, on Cardiovascular Events in High-Risk Patients. N Engl J Med 2000;342:145-53.
(3) Girattini S., Bertele V.: Non-Inferiority Trials are Unethical Because the Disregard Patients’ Interests. Lancet 2007;370:1875-77